Elsa Tomkowiak – 1800 / 16000
Le Château-Musée de Tournon-sur-Rhône
poursuit son ouverture à l'art contemporain en accueillant cet été une nouvelle
exposition consacrée à une artiste émergente. C'est au geste de la plasticienne
Elsa Tomkowiak qu'est confié l'ensemble du Château-Musée. À l'architecture
austère de l'édifice, l'artiste joue le contraste en y développant
généreusement une véritable explosion de couleurs. Son médium principal, la
peinture, ne s'applique pas classiquement sur la toile mais prend littéralement
volume, conquiert les espaces qu'elle investit. C'est une peinture libre,
déployée, affranchie de cadre qui a pour effet de provoquer une expérience
sensorielle, véritablement physique, de la couleur. Ainsi, il s'agit bien plus
d'une exposition à vivre que d'une
exposition à voir.
De la cour d'honneur à la petite
chapelle perchée sur la terrasse supérieure, c'est dans l'idée du parcours –
physique, initiatique, contemplatif – qu'a été conçue l'exposition. Composée à
la fois d'œuvres spécialement créées pour les salles du Château et d'œuvres
existantes, elle offre une vision large des différentes pratiques qu'explore
Elsa Tomkowiak autant qu'un regard neuf sur l'architecture du lieu. Ainsi, le
visiteur est accueilli dans la cour d'honneur ponctuée ici et là de pixels
colorés avant de pénétrer dans l'ancienne salle du tribunal où, sans
transition, il est directement plongé dans la couleur en déambulant entre
de grands pans colorés tombant du plafond. En montant à l'étage, il fait face à
un paysage émergeant du sol et se rend alors compte que les formes qu'il
contemple viennent compléter ce qu'il a découvert en-dessous, comme si le
bâtiment avait été construit autour de vastes carrés flottants. Dans la salle
des gardes, le caractère géométrique des poutres est accentué par deux lignes
composées de bandes peintes du sol au plafond qu'il est invité à franchir sans
cesse. Il pénètre alors dans une sorte de sas de décompression plein d'une
vapeur irisée qui le conduira vers la lumière du jour. C'est une transition
vers les volumes aux couleurs chatoyantes qui prennent place sous la voûte
d'ogive du rez-de-chaussée de la tour et semblent mesurer sa surface. Plus
haut, dans l'ancienne prison des femmes, des lais de mousse épousent
l'irrégularité de la paroi, tels des fenêtres de couleurs dans cette pièce qui
en est dépourvue. Enfin, dans la chapelle, de fines colonnes dont les couleurs
font écho à celles du grand triptyque de Giovanni Capassini semblent soutenir
l'édifice. Après une telle expérience, l'œil du visiteur sera sans doute
particulièrement entraîné pour percevoir les belles nuances des couleurs du
Rhône à ses pieds, du Vercors dans le lointain, des collines plantées de vigne
et des toits de la ville qui l'entourent.
Car
si cet ensemble d'œuvres révèle le bâtiment, il agit aussi sur notre manière de
percevoir un élément fondamental de ce qui nous entoure : la lumière et
ses changements incessants. Le temps a un rôle majeur dans le travail d'Elsa
Tomkowiak dans la manière qu'elle a d'appliquer sa peinture sur des
matières légères et transparentes, à même de capter les effets de la lumière.
Ainsi, selon l'heure du jour à laquelle le visiteur vivra l'exposition, sa
perception sera sans cesse renouvelée : ici un reflet mural qui n'était
pas visible une heure plus tôt, là un rouge dont la profondeur sera volée plus
tard par un bleu. C'est d'ailleurs ce spectre lumineux qui donne à l'exposition
son titre énigmatique : 1800 / 16000,
c'est la température des couleurs mesurée en kelvins de la plus chaude à la plus
froide. Parcourir le spectre, c'est l'expérience inédite à laquelle Elsa
Tomkowiak nous convie.
David Moinard
Commissaire de l'exposition
Références internet
www.reseaux-artistes.fr/dossiers/elsa-tomkowiak
http://elsa.tomkowiak.free.fr/